“Enchanté.”L’inconnu avait répondu à ta brève présentation d’une simple réplique d’un ton las et monotone, cachant à peine le sarcasme pourtant sous-jacent de cette marque de politesse qui lui paraissait parfaitement désuète et hors de propos vu la situation. Malgré tout, tu n’aurais pu manquer le bref sourire en coin qu’il esquissa préalablement en réponse à ta dernière remarque ; sourire simplement ponctuée par un aussi bref reniflement.
“Je déteste seulement les emmerdes, mais ça n’a pas l’air d’être très réciproque,” finit-il par lâcher tout en reculant de quelques pas, puis de se détourner de toi pour commencer à avancer dans le couloir. D’un mouvement de tête équivoque, il t’invita à le suivre dans le corridor qui souffrait d’un certain manque de luminosité, a contrario du salon dans lequel vous vous trouviez. Le bois du plancher ne manqua pas de gémir de nouveau sous la contrainte de ses semelles et de son poids, car sa silhouette ne pouvait t’apparaître que plus massive à mesure qu’elle se découpait dans la lumière qui filtrait faiblement par le cadre de la porte d’entrée laissée ouverte.
Si tu avais hésité à le suivre, tu auras pu remarquer qu’il se serait néanmoins arrêté sur le pas de celle-ci, bien destiné à patienter que tu concèdes à lui emboîter le pas, comme si malgré son apparent dédain, il ne se montrait pas aussi désintéressé de ta condition que ce que son comportement pouvait jusqu’à lors laisser supposer.
“J’ignore combien vous êtes, juste que t’es loin d’être un cas isolé. Du moins… vous êtes suffisamment nombreux pour que je sois plus blasé que surpris de tomber sur des gusses revenus d’entre les morts sans les taxer d’aliénés. Malheureusement pour toi, autant j’en n’ai pas grand chose à cogner de ton existence, autant ya des tas de mecs dans le coin qui espèrent bien te mettre la main dessus ; et certainement pas pour te la tendre.”L’inconnu avait fini par quitter l’appartement pour descendre assez précautionneusement les marches d’escalier du vestibule qui plongeait vers le rez-de-chaussée du bâtiment. Tu auras d’ailleurs tout le loisir de percevoir les échos de vos pas vibrant contre les murs et comblant le vide de l’espace comme de silence. Des sons qui se mouvaient et se mêlaient aux grains de poussières en suspension dans l’air, laissant planer une atmosphère presque onirique sur ces lieux qui ne présentaient pourtant aucun charme particulier. Simplement, et contrairement à l’appartement de ton réveil et la présence de son indésirable et bien moins encore fréquentable occupant, rien dans cette bâtisse ne laissait entrevoir tout le chaos qui avait pourtant gagné le monde et le quotidien.
Mais le silence fut de bien courte durée, comme la suspension de la réalité qui aurait pu avoir lieu au-travers de cette simple descente d’escaliers vers une sortie qui n’avait rien de certaine, ni rien de rassurant. Ton protecteur, s’il était réellement légitime de le qualifier ainsi, finit par ouvrir la porte d’entrée de l’immeuble, jetant de longs regards méfiants sur les environs avant d’à nouveau t’inciter à le suivre. Il n’aura d’ailleurs fallu guère de temps à tes sens et tes poumons de se retrouver pleinement emplis de l’odeur putrescente qui flottait grasse et poignante dans l’air, souillant et corrompant de ses miasmes la moindre bouffée d’air frais.
En tendant l’oreille, il ne te serait même pas difficile de discerner les râles des morts, tumultes vague et lointain qui ne semblait avoir aucune source distincte pour autant ; simplement un hymne lugubre et menaçant, provenant de toutes parts comme un perpétuel chant de la mort qui s’imposait aux cœurs et aux esprits. Un chant qui se posait en parfaite illustration du paysage urbain qui s’offrirait à tes yeux, le béton et l’asphalte répondant ton sur ton à l’orageux de tes iris. Détritus, cadavres de bouteilles et squelette nettoyés par les charognards, carcasses de véhicules abandonnés dans la rue, passablement petite, qui longeait l’immeuble où vous vous trouviez peu avant.
Un paysage qui ne manqua pas d’arracher un long soupir aux lèvres de l’inconnu, soupir qui se mêla à la légère brise pour l’emporter et le noyer dans un peu plus de désolation encore, avant qu’enfin il ne daigne se retourner dans ta direction, parlant d’un ton bien plus bas.
“Mickael. J’étais médecin. Il y a bien longtemps…” finit-il par te confesser dans un maugréement qui trahissait la difficulté de l’exercice.
“Et toi ? D’où tu débarques gamine ?” te demanda-t-il, bien que sa voix ne laissait pas vraiment de place à la convivialité.
“Par là,” rajouta-t-il d’ailleurs en désignant au loin ce que l’on pouvait distinguer comme les sommets denses de quelques arbres.
Inachevé.